À l’occasion des 100 ans de la naissance de Cheikh Anta Diop (1923-1986), les organisateurs de la 14e édition de Monde de Couleurs ont invité Mourtala Mboup, professeur de mathématiques sénégalais, afin qu’il nous décrypte les pensées et la philosophie de son illustre compatriote, égyptologue, homme politique et précurseur dans la volonté d’écrire l’histoire africaine.

Une nouvelle fois, le Festival Monde de Couleurs et la Fédération interjurassienne de coopération et de développement se sont associés « afin de proposer un moment réflexif et une pause dans l’effervescence musicale de ce week-end », introduit Isabelle Boegli, secrétaire générale de la fédération. Ainsi, ce samedi 3 juin 2023, la salle de l’Inter a accueilli un public varié, entre curieux, avides de découvertes et connaisseurs avertis de la personnalité au centre de toutes les attentions en ce début d’après-midi.

« L’unité culturelle de l’Afrique dans la pensée de Cheikh Anta Diop. Réalité, pertinence et enjeux dans le contexte international actuel ». Derrière ce titre un peu complexe se cache une personnalité qui dénoua l’histoire de l’Afrique et batailla, tout au long de sa vie, pour défendre la culture africaine.

L’orateur, Mourtala Mboup, professeur de mathématiques à Genève, nous prévient d’emblée : « Cheikh Anta Diop avait des sagesses à partager, nous allons les écouter et apprendre de ses paroles. » Le conférencier résume son intervention en trois points : le parcours qui a conduit cet homme à devenir un éminent Égyptologue,  la lecture qu’il donne de sa production littéraire et, pour terminer, des réflexions sur les thèmes liés à la pensée de son compatriote.

« J’ai repensé le problème culturel dans son ensemble, car j’ai ressenti une nécessité », pendant près d’une heure et demie, Mourtala Mboup a cité Diop. Il a extrait des phrases et des réflexions sur la nécessité de valoriser la nation africaine. Ce sont ces mots qui ont construit Cheikh Anta Diop. En effet, ce dernier a ressenti un vide culturel dès la classe de 3e (système français) au collège. « Il avait la volonté de combler ce vide en entreprenant, dès lors, ses propres recherches. »

Instruit mais pas cultivé

Le futur égyptologue obtint son doctorat ès lettres en 1960, il appartient à la première génération de l’élite africaine. Pour lui, « Tous les peuples ont une histoire, il nous appartient de nous relier à nos ancêtres », une détermination affirmée. Il s’engage pour l’indépendance des pays africains et milite pour un Etat fédéral en Afrique. Diop, par la voix du conférencier : « Les africains ont subi une aliénation culturelle, de manière qu’ils restent dans un état de domination. » L’intellectuel sénégalais qui, à ses débuts, s’est défini comme « un africain instruit, mais pas cultivé », étudia ainsi la « nation nègre » sous différentes composantes : linguistique, historique, politique et psychologique ».

De citations en citations, le conférencier nous dépeint ainsi le portrait d’un homme qui n’aura de cesse de libérer la parole africaine, contre vents et marée, allant jusqu’à traduire des fragments de la Théorie de la Relativité d’Einstein en wolof, sa langue natale. À ce sujet, Mourtala Mboup se confie : « Sous l’impulsion de mon papa, j’ai rencontré cette sommité qu’était Diop. Ce qu’il m’a dit :  Les mathématiques ou la philosophie ne sont pas incompatibles avec les langues africaines, elles peuvent, bien évidemment, véhiculer les sciences. »

En outre, Cheikh Anta Diop cherchait à démontrer que « l’Egypte antique était, pour l’Afrique, ce que Rome ou la Grèce étaient pour l’Europe, les fondements de son histoire. »

L’actualité sénégalaise en slam

En guise de conclusion et reprenant les volontés de Diop, l’enseignant invite la jeunesse africaine à sortir de sa torpeur et à en finir avec l’aliénation afin de se prendre en main. « La jeunesse se doit d’être inventive », explique-t-il. Et, justement, la jeunesse est présente dans le public de la salle de l’Inter. À l’invitation des têtes pensantes de Monde de Couleurs, Simon, rappeur sénégalais, est convié à prendre le micro.

Initialement, il était venu pour chanter un texte en hommage à Cheikh Anta Diop. Mais, en guise de préambule, il déclame un slam écrit dans le train, en chemin vers Porrentruy, qui donne écho à la dramatique actualité sénégalaise des derniers jours où « 23 jeunes sont tombés sous les balles de forces de l’ordre. » Accompagné d’un joueur de Kora, le rappeur exprime son incompréhension face aux troubles qui viennent de secouer son pays, surtout face au comportement de l’état qui a riposté, provoquant un bain de sang. Simon rappelle la genèse de son texte : « Je ne voulais pas rester silencieux. J’ai bien entendu le message de Diop, c’est à nous de nous prendre en mains. »

Les paroles du chanteur rejoignent ainsi celles de Mourtala Mboup et se mêlent aux écrits de Cheikh Anta Diop qui délivrent, ensemble, un message fraternel : « L’humanité ne peut pas se faire au nom d’un peuple au détriment d’un autre. »


Bruce Rennes ● Chargé de projets