Arrivée en Suisse par les liens du mariage en 1996, Ruth Leiber est originaire de la Côte d’Ivoire. Elle a fondé l’association Gbonele – Un toit pour toi. C’est une histoire familiale qui l’a mise sur la piste d’un projet qui s’est imposé à elle et qu’elle ne pouvait pas refuser.

C’est grâce à une séance de physiothérapie que le projet démarre vraiment »

De son propre aveu, le parcours migratoire de Ruth Leiber est très simple : « En 1993, j’ai rencontré mon futur mari, un Suisse. Il était en mission pour trois ans en Côte d’Ivoire ». À cette époque, elle travaillait dans une librairie et tenait un atelier de couture et de pâtisserie. De son côté, Philipp Leiber, son heureux prétendant, formait des mécaniciens dans le cadre d’un projet financé par la Direction du développement et de la coopération (DDC).

Ruth est née à 40 kilomètres de Tabou, la capitale de la région. Elle y a effectué toute sa scolarité, puis a suivi une filière dirigée par des sœurs protestantes avant de poursuivre une formation dans un centre technique. Cet établissement était géré par des Européennes. « J’étais tout le temps en contact avec des Alsaciens, des Suisses romands et des Suisses allemands, explique-t-elle. Certaines de mes amies prétendaient qu’un jour je me marierais avec un Européen, ce que je refusais d’entendre. Pour finir la réalité m’a rattrapée sans crier gare ! »

Découverte de la Suisse

En 1995, elle accompagne une ancienne missionnaire en Suisse. C’est son premier voyage en Europe, une découverte qu’elle effectuera sans son futur mari. La situation est cocasse car pendant que la jeune Ivoirienne découvre la Suisse, son amoureux helvétique est en Côte d’Ivoire. L’époque n’est pas à la communication instantanée ; la relation se poursuit par des échanges épistolaires. « Chaque semaine, j’attendais un courrier de mon fiancé via Swissair », rigole Ruth.

Elle s’installe dans la partie alémanique et travaille dans l’édition de calendriers et de cartes postales. « J’ai attendu la venue de Philipp durant ses vacances pour enfin faire connaissance avec toute sa grande famille. Nous en avons aussi profité pour officialiser nos fiançailles. Tout cela sur un week-end que mes futurs beaux-parents avaient organisé pour l’occasion. Une preuve d’amour, d’acceptation et de bienvenue en quelque sorte dans ma future famille, comme si l’on m’y attendait depuis longtemps, à travers la joie que j’ai vue et ressentie en tous. »




Une prise de conscience

La création du centre d’accueil de Tabou est un projet qui est intimement lié au parcours de Ruth, même si elle n’en avait pas conscience. « Quand tu entres au cycle secondaire (collège), tu n’as pas forcément un établissement scolaire proche de chez toi. Tu dois quitter ton village pour aller en ville. Les élèves sont donc souvent confiés à d’autres familles. Quand tu es dans le système, tu n’en remarques pas forcément les défauts. »

En effet, les tuteurs ou tutrices (familles d’accueil), très souvent, ne respectent pas les accords passés. Les jeunes filles peuvent être employées à des tâches domestiques, ou à s’occuper des enfants de la famille, plutôt que de disposer de suffisamment de temps pour étudier ou même se rendre à l’école, par exemple.

e lC’est une mésaventure qui est arrivée à une nièce de Ruth. « Elle n’avait plus de cadre et ne recevait pas d’affection. Son histoire m’avait frappée et touchée  », explique-t-elle pudiquement. Lors de ses séjours en Côte d’Ivoire, elle aborde la question avec des connaissances qui confirment ses impressions. « Les gens me confiaient qu’ils n’avaient aucune nouvelle de leurs jeunes lorsqu’ils et elles étaient parti·e·s étudier loin de leurs foyers. »

Un voyage fondateur

En 2014, Philipp et Ruth emmènent leurs 4 enfants pour la première fois en Côte d’Ivoire. « C’est à cette époque que j’ai été encore plus sensibilisée à cette situation problématique, et que je me suis dit que je devais entreprendre quelque chose de concret à mon niveau afin d’apporter une petite contribution, une aide. Cela s’est imposé à moi. Mais, au début, j’ai refusé cette idée. Ce n’était pas à moi de m’occuper de cette tâche ». Et pourtant, la réflexion reste profondément ancrée. « Ce que j’avais vu et entendu était tellement fort que je me suis donc lancée. »

Au départ, Ruth ne pensait pas fonder une association ou créer un centre de grande ampleur, mais plutôt un simple dortoir. En 2015, elle cherche à fédérer du monde autour de ce projet. L’enthousiasme du départ se heurte au manque d’adhésion de ses connaissances. « J’ai laissé un temps de réflexion de deux à trois mois à 15 personnes qui étaient intéressées par mon projet. Finalement, elles ont toutes refusé. »

Une rencontre décisive

C’est grâce à une séance de physiothérapie que le projet démarre vraiment. « Ma thérapeute me demandait toujours si je n’avais pas des projets dans mon pays. Elle insistait. J’ai fini par lui répondre que oui, j’avais une idée, mais personne pour m’aider ! » Cette dame était la mère de Loïc Brüning qui deviendra par la suite un pilier de l’association Gbonele. « Loïc est arrivé ; il a embarqué sa copine Marion qui, par la suite, deviendra son épouse, et son ami Ismaël dans l’aventure. Nous sommes partis à la recherche de financement et Gbonele – un toit pour toi a été fondée. » Nous sommes en 2016.

Le projet démarre ; l’association adhère ensuite à la FICD et obtient des financements pour le mener à bien. Avec le recul, si Ruth est plutôt heureuse de sa mise en place, elle regrette le manque de soutien de sa famille sur place. De leur point de vue, Ruth dispose de suffisamment d’argent et refuse de leur venir en aide financièrement. « C’est très difficile de faire comprendre que l’argent utilisé n’est pas le mien et qu’il doit servir à soutenir la collectivité et non pas l’entourage direct. »

Mais l’essentiel est ailleurs : par pudeur, elle ne tire pas spécialement de fierté du travail accompli. Très modestement, elle est simplement contente d’avoir apporté sa pierre à l’édifice de la solidarité. « Lors de notre dernier séjour, j’ai rencontré le conseil communal, Madame la préfète de la région, des enseignants, des éducateurs·trices, les directions des lycées et collèges de Tabou pour les sensibiliser et les informer du projet Gbonele. J’ai été touchée par leurs marques d’affection et de reconnaissance. On m’a remerciée de n’avoir pas oublié d’où je viens. »


Bruce Rennes ● Chargé de projets