©Monde de couleurs


Quelle aube ? Quelle aurore ?

Il y a plus de dix ans, mais je m’en souviendrai toujours. J’arrivais à un poste de douane suisse en provenance d’un pays européen, à bord d’un bus Eurolines. On avait roulé toute la nuit pour arriver à cette douane, à l’aube !

Je me sentais seul, humilié et vidé de ma dignité. Alors, j’ai demandé à l’un d’eux ce qu’il recherchait et pourquoi j’étais le seul à être désigné pour ce contrôle ? »


J’avais tous mes papiers. Je ne suis pas demandeur d’asile. Je suis un citoyen européen. Je voyageais tranquillement pour des raisons de travail. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand ces garde-frontières, deux hommes portant de beaux uniformes bleus, sont entrés dans le bus, jetant leurs regards par ci et par là ! Et quand, sans raison apparente, sauf peut-être ma couleur de peau, ils se sont arrêtés près de moi et m’ont invité à descendre du bus. Dehors, ils demandent au chauffeur d’ouvrir le compartiment à bagages et me disent de prendre ma valise. Ce que j’ai fait avec une certaine inquiétude ! Suis-je accusé de quelque chose ? Qu’est-ce que cela pourrait être ? Vont-ils trouver quelque chose dans ma valise ? Et qui aurait eu accès à ma valise fermée pour y glisser quelque chose ?

Toutes ces questions et tant d’autres se sont bousculées dans ma tête. C’est alors que l’un de ces messieurs m’a dit d’un ton ferme et autoritaire d’ouvrir ma valise. Dès que je l’ai fait, ils ont fouillé de fond en comble cette dernière, mettant un désordre indescriptible dans mes affaires, avant de m’abandonner là, à remettre de l’ordre et à refaire ma valise.

Cette fouille, qui s’est déroulée avec l’aide d’un chien et qui, visiblement, avait pour mission de trouver quelque chose, m’a beaucoup marqué. Voir ces hommes s’introduire dans mes affaires, avec une telle brutalité, m’a donné l’impression d’assister à mon propre viol. Je me sentais seul, humilié et vidé de ma dignité. Alors, j’ai demandé à l’un d’eux ce qu’il recherchait et pourquoi j’étais le seul à être désigné pour ce contrôle ? Est-ce parce que j’étais le seul Noir dans ce bus ? Sa réponse fut laconique : « Vous êtes tous les mêmes ! Nous, nous faisons notre travail ! Vous pouvez partir, c’est fini ! ».

Oui, je suis parti, mais en emportant mes questions ! « Vous êtes tous les mêmes... » Qui, nous ? Les étrangers ? Les migrants ? Les sans-papiers ? Les Noirs ? Voilà qui m’a fait longuement penser à tous ces amalgames, toutes ces généralisations basées sur des clichés, des stéréotypes, des préjugés et des peurs ! C’est tout de même inquiétant de voir que certains, malheureusement encore trop nombreux, ne peuvent s’empêcher de considérer l’autre, celui qui est différent, comme une menace. Le migrant, par exemple, est un simple profiteur ! Le demandeur d’asile est un criminel, surtout s’il est d’une autre race. Quel dommage !

Comment changer ce regard négatif sur l’autre, afin de l’accueillir sans crainte ni complexe, comme un semblable ?  Nous n’avons pas de solution magique. Mais à travers ce bulletin, nous venons présenter des portraits d’étrangers, des hommes et des femmes de la diaspora dont les parcours peuvent nous éclairer et même nous inspirer.

Ils et elles ne sont pas des héros, mais des gens normaux qui, pour plusieurs raisons, se retrouvent ici aujourd’hui. Par leur formation, leur travail et leur savoir-vivre ensemble, ils ont su et savent s’engager pour la société ici et dans leurs pays d’origine. Ils travaillent et gagnent leur vie ! Ils payent leurs impôts et contribuent à la vie de la collectivité.

Ils ne sont pas une exception car ils constituent la majorité des migrants qui vivent en Suisse. Ils sont nombreux et on les trouve partout. Ceux que nous présentons ici sont simplement un échantillon. Nous les connaissons, parce qu’avec eux nous nous battons pour rendre meilleur notre monde. Eux aussi sont engagés pour que les conditions de vie dans leurs pays s’améliorent, afin d’empêcher des jeunes de partir de chez eux. Ils ont créé des associations et mènent des projets pour contribuer au développement de leurs pays d’origine. D’ailleurs, ces projets ont souvent un impact direct ou indirect sur leur pays de résidence, la Suisse. Soutenus par la FICD, ils rassemblent et ouvrent des chemins de solidarité entre les peuples d’ici et d’ailleurs. Ils sensibilisent aux valeurs humaines les plus fondamentales comme l’hospitalité, le partage, le respect de la dignité de tout être humain, la sauvegarde de l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique, le développement, etc.

En lisant ce bulletin, vous découvrirez la diversité de leurs visages et de leurs origines, la différence des itinéraires qui les ont conduits en Suisse, et l’importance des richesses que procure leur présence à la Suisse ! Bonne lecture.


Jean-Pierre Ndianyama, Chargé de projets Congo.JU ● Membre de la Commission d’information, fICD