Président de la Commission technique de la Fédération interjurassienne de coopération et de développement, Denis Cattin était jusqu’à sa récente retraite collaborateur scientifique au sein de la HES-SO. Ancien coopérant volontaire au Pérou, puis secrétaire de la plateforme Unité regroupant des ONG de coopérants volontaires engagés dans des pays du Sud, Denis est un véritable spécialiste des notions de partenariat.

C’est donc durant ces périodes de crise qu’une relation de partenariat de qualité prend tout son sens et peut faire ses preuves. »

Peux-tu citer des projets soutenus par la FICD qui œuvrent à la réalisation de l’objectif n°17 ?

Je vois plusieurs projets que nous avons financés et qui répondent, du moins en partie, à cet objectif, et ceci dans plusieurs secteurs d’activités comme la technologie, le renforcement des capacités et les questions structurelles. Je ne pourrai malheureusement pas mentionner l’ensemble des projets concernés, je me limiterai à un ou deux exemples par aspect. Précisons d’emblée que la grande majorité des projets financés par la FICD couvrent simultanément plusieurs Objectifs de développement durable (ODD), chacun de ces objectifs ne pouvant être envisagé de manière isolée sur le terrain.

Pour le secteur de la technologie et de la formation, l’ESSVA, partenaire de la Fondation Avenir Madagascar, forme des professionnels en électrotechnique ainsi que des spécialistes en écotourisme à Madagascar, pays dont les infrastructures (communication, énergie, préservation de l’environnement) sont gravement déficitaires. 

Pour ce qui concerne le renforcement des capacités, au Sénégal, un projet de renforcement des compétences et du pouvoir économique des femmes et jeunes filles à travers le maraîchage et l’aviculture est soutenu par Globaid. Un tel projet vise à terme une plus grande autonomie économique et sociale de cette population.

Au Bénin, Jura-Afrique appuie depuis plusieurs années un projet de promotion de l’emploi indépendant dans le domaine de l’élevage traditionnel amélioré au nord-ouest du pays. Ce projet contribue au renforcement des compétences des jeunes éleveurs. Le but est de les rendre capables de devenir des acteurs de leur propre changement, de les renforcer et les orienter pour la création de leur propre unité de production.

En ce qui concerne la cohérence des politiques et des structures institutionnelles, la coordination des politiques de développement avec les organes publics locaux (municipalités, ministères, etc.) occupe une place de plus en plus importante.

Le Groupe Nicaragua entretient un partenariat de plus de trente ans avec le Mouvement communal nicaraguayen situé à La Trinidad, ville jumelée avec la Commune de Delémont. Ce partenariat soutient des activités de développement communautaire et d’éducation citoyenne, permettant aux bénéficiaires d’améliorer leur cadre de vie et d’assurer, de manière autonome, leurs besoins économiques et sociaux.

Au Pérou, Nouvelle Planète s’active depuis plusieurs années en faveur de la reconnaissance des peuples indigènes via la titularisation de leurs communautés et de leurs territoires. Ce processus a pour but de renforcer leurs capacités institutionnelles en les dotant de documents  de gestion communale, de statuts et d’autres outils de gestion, afin qu’elles aient les titres officiels pour défendre leurs territoires face aux colons qui s’y installent ou déciment  la forêt.

Quelles sont les caractéristiques des partenariats des membres de la FICD ?

Nos associations travaillent en priorité avec les populations locales et leurs organisations ou parfois des organes publics régionaux qui les représentent et les défendent. Ces organes travaillent donc en partenariat avec nos associations suisses. Ces partenariats se poursuivent la plupart du temps sur une très longue durée, ce qui permet aux parties concernées de bien se connaître et de bien s’accorder sur les politiques de développement, les projets à mettre en place et les objectifs à atteindre. La qualité de ces partenariats constitue un facteur essentiel de réussite des projets et aussi de la durabilité de leurs résultats.

Quelles pratiques pouvons-nous encourager dans le cadre de partenariats ?

Une piste, que j’estime primordiale mais qui n’est malheureusement pas encore suffisamment utilisée, est la constitution de partenariats Sud-Sud entre deux ou plusieurs organisations ou entreprises locales travaillant dans le même secteur, afin de partager les compétences respectives et d’élargir les points de vue. Ceci a le double avantage de valoriser les compétences locales et de réduire la dépendance des acteurs du Sud face aux ressources du Nord. Ce type de partenariat « horizontal » constitue donc un levier efficace qui renforce l’autonomie des partenaires du Sud, et in fine des populations bénéficiaires des projets.

De plus et sans même parler d’un partenariat formel, dans un pays ou une région donnée qui réunit plusieurs acteurs locaux travaillant dans un même secteur d’activité (eau, santé, technologie ou autre), la mise sur pied d’une coordination ad hoc faciliterait les échanges et les synergies. Elle renforcerait en outre le poids des acteurs du Sud en regard de leurs partenaires du Nord.

Et dans le cadre d’un dialogue «Sud-Nord» plutôt que “Nord-Sud”, que pouvons-nous envisager ?

Pour ce qui est de la Suisse, un partenariat de qualité permet de mettre en place des échanges Sud-Nord dont un des objectifs est de mieux faire connaître chez nous les problématiques, les compétences et les visions de nos partenaires du Sud. J’insiste également sur un aspect trop peu souvent relevé : nos partenaires du Sud gagneraient beaucoup à mieux connaître notre fonctionnement, nos engagements et surtout nos difficultés et les luttes que nous menons ici en Suisse. L’engagement sans faille de nos organisations-membres, leur persévérance et leur ténacité pour trouver les fonds nécessaires pour leur partenaire du Sud constituent, pour beaucoup, une prise de conscience et un encouragement. Là encore, nous devons trouver les moyens de faciliter ce type d’échanges.

Quelles sont les conditions pour la bonne réussite d’un partenariat entre une association du Nord et son partenaire du Sud ?

Avec un collègue suisse alémanique, j’ai réalisé en 2002 une étude sur le partenariat en analysant quelque 90 relations de partenariat (concernant 26 organisations de toute la Suisse), situés en Afrique, Asie et Amérique latine. Il est apparu entre autres que la qualité des projets est en très forte corrélation avec la qualité des partenariats.

Nous avons dès lors avancé une proposition de définition d’un bon partenariat qui est la suivante :

  • C’est une relation construite par différents acteurs unis par une motivation et une vision commune et ayant pour but de planifier et de réaliser ensemble des activités de coopération selon des objectifs clairement définis et acceptés.
  • C’est une relation dynamique, en constante évolution, qui favorise la créativité, la valorisation des compétences de chacun ainsi que la complémentarité des apports culturels, intellectuels et matériels, le tout devant représenter un avantage pour chacune des parties.
  • Il suppose un respect des différences, une confiance réciproque, une implication concrète des parties et une responsabilité partagée. Il requiert, d’une part, la capacité du partenaire du Nord d’assurer la qualité du suivi du projet conjointement avec le partenaire du Sud et, d’autre part, une représentativité prouvée de la population bénéficiaire par le partenaire du Sud.

Cette définition est encore pleinement d’actualité et constitue pour moi un facteur important de qualité de la relation. Je soulignerais deux éléments importants qui ressortent de cette définition: il s’agit de la réciprocité des apports entre les parties, des visites et, comme déjà mentionné, des interventions de nos partenaires du Sud chez nous (échanges Sud-Nord) permettant la valorisation de leurs compétences, la connaissance de notre propre terrain ainsi que la sensibilisation de la population jurassienne.

Quelles peuvent être les pistes de renforcement d’un partenariat Nord-Sud (Sud-Nord ?) face à une crise sanitaire telle que la pandémie de Covid-19 ?

Au risque de paraître désinvolte, je dirais d’abord que les situations de crise sont légion dans les pays les plus pauvres du Sud et que les populations touchées y sont déjà malheureusement bien habituées et ont développé de nombreuses stratégies pour les affronter.

Toutefois, la Covid-19 a la particularité de toucher absolument tous les pays, toutes les catégories de population et tous les secteurs d’activité. Ceci provoque, comme chez nous, un renforcement des inégalités mais également un blocage sans précédent des activités socio-économiques au Sud, et ceci jusque dans les villages les plus reculés (principalement en raison de l’interdiction des déplacements).

Selon les premières informations fournies par quelques-unes de nos organisations-membres, les problèmes divergent selon les secteurs d’activité. Au niveau des projets éducatifs et de formation, la fermeture des établissements entraîne non seulement un immobilisme social et éducatif, mais aussi économique car, du moment que leurs enfants ne peuvent plus fréquenter leur école, les parents ne paient plus les écolages (en argent ou en nature) qui leur sont demandés. Les projets générateurs de revenu, comme ceux liés à l’agriculture ou à la pêche, par exemple, sont paralysés et les fonds déjà investis risquent forts d’être perdus. La population ne peut donc plus s’alimenter ou acheter du savon pour assurer une hygiène correcte contre le virus. Ce ne sont que quelques exemples qui démontrent à quel point tout est interdépendant et qu’une telle situation entraîne des « effets domino » sans précédent.

Les partenaires du Nord sont donc sollicités pour, d’une part, faire preuve de souplesse quant au retard des réalisations prévues et, d’autre part, essayer de compenser les pertes sur place par des apports financiers complémentaires. Une bonne communication et un suivi très serré de la situation par les deux partenaires sont donc absolument nécessaires.

Je me rappelle souvent ce que me disaient certains partenaires du Sud qui vivaient alors une crise dans leur pays : « Sentir que nos partenaires du Nord ne nous lâchent pas, maintiennent le lien, qu’ils continuent de nous soutenir en renforçant leurs appuis financiers ou matériels et qu’ils font tout leur possible pour nous aider à surmonter cette crise, sans oublier d’informer la population suisse de ce que nous vivons est, pour nous, d’une importance primordiale .»

C’est donc durant ces périodes de crise qu’une relation de partenariat de qualité prend tout son sens et peut faire ses preuves.

D’un point de vue plus national, penses-tu que la Suisse fait tous les efforts nécessaires afin d’atteindre le fameux seuil de 0,7% de son revenu national brut pour le développement ?

Absolument pas. Cet objectif n’a d’ailleurs jamais été atteint et je pense qu’il en sera de même encore longtemps. La majorité de nos parlementaires ne mettent en effet pas la priorité sur le développement des pays les plus pauvres, pensant qu’il faut d’abord investir sur ce qui rapportera à la Suisse à court terme. C’est pourquoi l’accent est actuellement mis sur le renforcement des investissements privés (voire publics-privés) dans le cadre de la coopération au développement. L’efficacité d’une telle stratégie est encore à démontrer.

Toutefois, je reste pour ma part très prudent face aux demandes d’augmentation pure et simple du volume financier pour la coopération au développement. En effet, si cette augmentation peut facilement se justifier compte tenu des besoins constants des pays du Sud, il est tout aussi important de mettre l’accent sur une meilleure identification des priorités et sur l’amélioration de la qualité de la coopération actuelle dans le cadre des budgets (même restreints) que nous avons.

Et quelles doivent être les priorités de la Suisse vis-à-vis de la coopération internationale ?

Un récent voyage à Madagascar m’a confirmé ce que je soupçonnais déjà à ce propos : avec chacun de nos interlocuteurs locaux, nous avons soulevé la question de l’implication de l’Etat malgache dans le développement du pays. Systématiquement, on nous a répondu que personne ne pouvait compter sur un financement, un appui ou une collaboration de la part de ministères rongés par la corruption. Il va de soi qu’un tel contexte ne peut que freiner, voire bloquer totalement toute initiative de développement, tant au plan national que local (formation, santé, infrastructures, communications, énergie). Nous avons vu de nos propres yeux plusieurs projets de développement entrepris avec pertinence par des ONG locales ou étrangères, mais qui ont été abandonnés en cours de route par manque de suivi, de financement, mais aussi et surtout en raison d’un blocage dû à des intérêts politiques particuliers contraires à ceux de la population.

Fort de ces constats, je suis convaincu que la formation des responsables politiques à la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption (qui ronge tous les échelons des organes publics) devraient devenir une priorité de la coopération gouvernementale suisse afin de faciliter le travail des ONG qui, depuis des dizaines d’années, soutiennent avec conviction et compétence des personnes et des organisations partenaires locales dont la détermination et la persévérance forcent l’admiration.


Denis Cattin, Président de la Commission Technique et membre du comité ● FICD