Animée par Sébastien Fasnacht, rédacteur en chef du Journal L’Ajoie, la conférence « Le Jura au carrefour de l’interculturalité », organisée samedi 8 juin dans le cadre du festival Monde de Couleurs, a permis de croiser les regards de trois associations jurassiennes œuvrant dans l’accueil, la solidarité et la lutte contre la pauvreté. Ainsi, Elise Unternaehrer, co-responsable du lieu d’accueil LARC (une prestation de Caritas), Pierluigi Fedele, directeur de l'Association jurassienne d'accueil des migrants (AJAM) et Olivier Girardin, président de la Fédération interjurassienne de coopération et de développement (FICD), ont échangé durant 45 minutes sur l’interculturalité et la solidarité vues du Jura.

Membre FICD


Monde de Couleurs

Festival des cultures et musiques du monde, Monde de Couleurs a été créé en 2000 à Porrentruy, dans le but d’organiser un événement musical riche et innovant. Plus qu’un festival, Monde de Couleurs se veut un cadre d’échange, de partage, et de dialogue entre les peuples.


« On privilégie l’action communautaire. Ce n’est pas forcément la personne blanche, avec des diplômes, qui saura le mieux répondre à la question d’un migrant. Cela pourrait être un migrant déjà intégré depuis de nombreuses années. »

Après un tour de table présentant les différents intervenants et une définition très théorique de l’interculturalité, Sébastien Fasnacht s’interroge sur le sens réel de ce mot dans le quotidien des organisations représentées. Perluigi Fedele reconnait qu’actuellement cette notion n’est pas traitée de manière satisfaisante dans la pratique : le statut du travailleur social prenant encore trop souvent le pas sur les notions d’échange et de réciprocité. Et c’est par la formation et par une nouvelle manière de travailler que l’interculturalité s’installera dans la pratique professionnelle. Au contraire de ceux de l’AJAM, les bénéficiaires des services de LARC, en partie constitués de migrants, viennent volontairement dans le lieu d’accueil de Delémont, avec toutefois quelques frustrations. Elise Unternaehrer souligne que l’objectif est de fonctionner sans statut, de gommer les différences existantes entre les professionnels, les bénévoles et les bénéficiaires. « On privilégie l’action communautaire. Ce n’est pas forcément la personne blanche, avec des diplômes, qui saura le mieux répondre à la question d’un migrant. Cela pourrait être un migrant déjà intégré depuis de nombreuses années. »

Une concurrence entre les différentes formes de précarité

À l’AJAM comme à LARC, il apparaît important de déconstruire les mythes autour de leurs infrastructures respectives et surtout d’expliquer les différents enjeux : une intégration réussie ne passe pas simplement par une intégration sur le marché du travail. Il est important de s’intégrer dans le tissu social. Elise Unternaehrer rappelle que la structure delémontaine de LARC n’est pas un endroit réservé aux migrants. Il accueille aussi des suisses. « Il existe une forme de concurrence entre les deux populations, bien que les activités proposées soient destinées à tout le monde. » Elle relève encore que la compréhension de l’interculturalité par les bénéficiaires est souvent inexistante, car ils sont trop souvent « étouffés par leur propre précarité ».

Afin de savoir si une meilleure solidarité passe par une meilleure compréhension, le rédacteur en chef de L’Ajoie s’intéresse aux expériences d’Olivier Girardin en Afrique, notamment au Cameroun et en Côte d’Ivoire. « Comment cette notion d’interculturalité se gère-t-elle sur le terrain ? »  Fils d’agriculteur, Olivier Girardin avoue tout d’abord, très honnêtement, que, sans soutien extérieur, il serait difficile, ici en Suisse, de faire mieux que les paysans africains. Le président de la FICD souligne « qu’on est souvent mis sur un piédestal. D’emblée, nous arrivons avec des solutions simplistes, alors qu’il faut du temps pour comprendre le contexte. » Et de relever encore que, dans un même pays, une même région, il existe de très grandes différences culturelles. « Comme les différences entre l’Ajoie et la Vallée », souligne malicieusement Sébastien Fasnacht. La compréhension de la culture de l’autre, la formation et la sensibilisation, apparaissent alors comme des moyens qui favorisent l’échange et l’interculturalité.

La solidarité, une valeur individuelle à prendre en charge collectivement 

Face à la pression migratoire et aux problèmes de financement des institutions, qui doit être solidaire ? Les privés ? L’Etat ? Le directeur de l’AJAM détaille que la notion de solidarité est une valeur individuelle mais qui doit être prise en charge collectivement. Ainsi, il est nécessaire que l’Etat mette en place les moyens nécessaires, afin d’assumer cette mission. Toutefois, l’époque est à l’idéologie d’une forme d’individualisme qui prévaut sur la notion de solidarité. Pour Elise Unternaehrer, les jurassiens sont enclins au bénévolat, et le rôle des professionnels est de favoriser la coordination des toutes ces bonnes volontés.

Souvent, la mixité et les codes culturels des uns et des autres engendrent des tensions entre les communautés. Avec le ralentissement actuel de la pression migratoire, les problèmes sont toutefois moins fréquents. Olivier Girardin nous met cependant en garde contre « l’accélération du changement climatique, provoquée par les puissances industrielles. Il agit fortement sur la zone intertropicale ». En effet, certaines études démontrent que le flux de réfugiés climatiques pourrait concerner 143 millions de personnes à travers le monde. Et même si la majorité des déplacements s’effectueront à l’intérieur même des pays ou zones concernés, il s’agit d’un des grands défis des Objectifs de développement durable. Le président de la FICD estime que l’Etat ne doit donc pas réduire son aide. Associé au travail des ONG, il est un maillon essentiel, à même d’apporter de la stabilité dans tous les pays concernés, et ainsi limiter les flux migratoires.

L’intégration dans les fêtes villageoises

Dans le public, un spectateur attentif relève que les organisations présentes sur scène s’exposent très facilement à Monde de Couleurs ou lors de la Croisée des Migrants à Delémont, mais qu’elles brillent par leur absence lors des fêtes villageoises. En réponse, Perluigi Fedele explique que l’intégration doit s’effectuer de manière naturelle et que, finalement, la meilleure des intégrations est celle où le migrant cesse d’être visible. Olivier Girardin rappelle que la FICD, quant à elle, mène de nombreuses opérations de sensibilisation du public via les Fêtes de la Solidarité, organisées régulièrement dans les écoles du Canton du Jura et du Jura bernois. En outre, enfilant sa casquette de directeur de la Fondation Rurale Interjurassienne, il rappelle que le Concours Suisse des produits du terroir dispose d’un espace « Terroir du Monde ».

Bien que l’on regrette l’absence, sur la scène de la Salle des Hospitalières, de personnalités issues de la migration, celles-ci se sont illustrées dans le public avec, notamment, la présence de Karim Seck et Aliou Wade, respectivement président et chargé de communication du festival Monde de Couleurs. Apportant des précisions sur les thèmes évoqués, ils représentent les nombreux bénévoles d’un festival bigarrés qui symbolise, à lui seul, ce que signifie l’interculturalité et la diversité à la sauce jurassienne : un accueil chaleureux, une générosité exceptionnelle et une solidarité sans faille, qui propose au public, depuis 13 éditions, quatre jours de convivialité, de partage et de bonne humeur et ce, quels que soient les caprices de la météo.