Ouvert en 2003 avec le soutien financier et l’accompagnement technique de la République et Canton du Jura, l’Institut Agricole d’Obala est aujourd’hui l’un des fleurons de la coopération Cameroun-Suisse. Le projet s’est développé au-delà des attentes.

la jeunesse, mal formée et mal orientée, est attirée par les lumières de la ville, abandonnant les exploitations familiales à la main d’œuvre vieillissante de leurs parents»

Il sert aujourd’hui de point d’ancrage à plusieurs programmes nationaux qui cherchent à attirer les jeunes vers le secteur agricole, porteur de l’économie nationale. Il est également une source d’inspiration et un modèle que le gouvernement camerounais entend vulgariser. En témoignent plusieurs conventions signées avec des départements ministériels du secteur éducatif et des invitations du Ministre d’Etat chargé de l’Enseignement Supérieur à présenter le dispositif de formation IAO au cours des conférences nationales et internationales. Attirés par l’écho de la contribution de l’Institut au développement, les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Bénin ont permis aux gestionnaires de leurs systèmes éducatifs d’effectuer des missions au Cameroun pour mieux comprendre les mécanismes de l’ingénierie de formation qui a permis à l’IAO d’adapter, en contexte africain, le modèle d’apprentissage dual de la Suisse. Autant le dire, le projet IAO nous plonge au cœur d’une petite révolution dans le rapport que les populations du Cameroun et de plusieurs pays d’Afrique ont, aussi bien avec leur système éducatif qu’avec le milieu rural. Pour comprendre la portée de cette révolution, nous allons mettre de la lumière sur l’un des impacts du projet constatés, à savoir la fixation des jeunes formé·e·s à leurs terres.

En effet, l’immigration des jeunes africain·e·s vers l’Occident est la principale conséquence de l’incapacité des territoires d’origine de ces jeunes à leur permettre de réaliser leur rêve d’épanouissement socio-professionnel. Qu’elle soit clandestine ou légale, l’immigration massive de ces jeunes est une préoccupation majeure pour les économies qui se privent ainsi de cerveaux et de main d’œuvre. Mais l’on oublie souvent que ce phénomène, observé à l’échelle internationale, est une réplique ondulatoire d’un autre, vécu à l’intérieur des Etats africains : l’exode rural. Alors que les économies de la plupart de ces pays sont adossées au secteur agricole, la jeunesse, mal formée et mal orientée, est attirée par les lumières de la ville, abandonnant les exploitations familiales à la main d’œuvre vieillissante de leurs parents. N’ayant pas pu réaliser leur rêve de bonheur dans le milieu rural, ces jeunes viennent grossir les rues des grandes métropoles, massivement désoeuvré·e·s, rongé·e·s par  le chômage et le sous-emploi. C’est parmi ces jeunes désillusionné·e·s qu’on retrouvera un bon nombre de candidat·e·s à l’immigration clandestine, qui reprennent la même aventure de recherche de bonheur, avec des risques amplifiés, pour rallier l’Europe.

Exceptées des situations dans lesquelles des mouvements migratoires sont imposés par des conflits armés, deux causes sont associées au mal-être de la plupart des jeunes africain·e·s qui prennent le risque de l’immigration : un système éducatif en déphasage avec les besoins des économies nationales et un milieu rural non attractif. C’est justement sur ces deux aspects que l’Institut Agricole d’Obala agit comme levier.


La vision de l’IAO, depuis sa création, est en effet d’être un établissement de référence dans la formation et l’accompagnement professionnel des cadres moyens qui prendront en main le développement de l’entrepreneuriat rural au Cameroun et dans la sous-région. Ce rêve semblait utopique en 2003, tant le secteur agropastoral était miné par des représentations négatives dans l’opinion des populations cibles. Dans un environnement où 2 pauvres sur 3 vivent dans le milieu rural, lui-même souvent caractérisé par l’absence des infrastructures sociales de base, comme le réseau d’électricité et d’eau potable, des écoles et des hôpitaux, il était en effet difficile de convaincre les jeunes et leurs parents de s’investir dans un projet de formation dont l’issue était une insertion professionnelle dans le milieu rural. Cette difficulté était amplifiée par l’attrait, dans la culture populaire, des parcours d’études qui conduiraient à un recrutement à la fonction publique.

Le système éducatif camerounais, comme celui de beaucoup d’autres pays d’Afrique, est globalement resté fixé à sa configuration originelle, conçue au lendemain  des indépendances, pour fournir des cadres africain·e·s à la fonction publique. En conséquence, plus de 90% des diplômé·e·s du système éducatif camerounais n’ont aucune formation alignée sur les besoins économiques du pays. Toutes et tous aspirent à être recruté·e·s dans la fonction publique, alors que celle-ci a cessé de recruter massivement depuis plus de trois décennies.



C’est donc dans cet environnement, caractérisé par une faible attractivité du milieu rural et un système éducatif en déphasage avec les besoins de l’économie, que le projet IAO révèle sa pertinence. Du travail a été fait, suivant une ingénierie consciente de ces enjeux, pour gagner des étapes dans la stratégie d’incitation des jeunes à suivre les formations et à s’installer dans le domaine de l’entrepreneuriat agropastoral. Pour déconstruire les préjugés sur les métiers agropastoraux, nous avons dû mettre en place une approche managériale et pédagogique centrée sur le développement des capacités individuelles et collectives des acteurs. Ensemble, apprenant·e·s et éducateur·trice·s construisent leur avenir, porté·e·s par un projet de formation qu’ils·elles réalisent, chacun à son niveau, et qui les rend plus compétent·e·s de jour en jour. De ce fait, le projet IAO n’est pas le projet d’une personne, mais celui d’une équipe d’actrices et d’acteurs profondément solidaires, partageant les mêmes valeurs. L’apprenant·e, dans notre environnement, n’est pas simplement de passage comme dans une école ordinaire. Il·elle est, ici, dans un centre permanent de ressources, au sein d’une communauté apprenante, dans laquelle il·elle tisse des liens qui pourront l’accompagner dans la mise en œuvre de son projet et dans son développement en tant qu’entrepreneur·euse agropastoral·e. Progressivement, chaque apprenant·e s’approprie les valeurs de l’équipe pédagogique qui sont : 

  • la foi en l’entrepreneuriat ;
  • la foi dans les potentialités des jeunes ;
  • la détermination dans la recherche des résultats.



C’est sans doute le résultat de ces valeurs partagées qui nous a valu la confiance grandissante des familles et des jeunes. Car, si 30 élèves ont été péniblement recruté·e·s en 2003, ce sont plus de 1’600 apprenant·e·s qui ont été accueilli·e·s par l’IAO en 2023, issu·e·s  de 6 nationalités africaines, des Etats Unis d’Amériques, de la France et de la Suisse. Nos offres de formations se sont diversifiées en fonction de la conjoncture et de la demande des jeunes. Nous avons, dans le domaine de l’entrepreneuriat agropastoral, quatre principales composantes :

le second cycle « Techniques Entrepreneuriat Rural », qui conduit au Brevet de Technicien Agricole ;

  • l’enseignement supérieur, qui prépare les étudiant·e·s aux diplômes de Brevet de Technicien·ne Supérieur·e, licence et Masters professionnels dans les domaines agropastoraux ;
  • le Centre d’Incubation des entrepreneur·euse·s, qui offre des formations modulaires courtes et à la carte, destinées aux porteur·euse·s de projets de productions agropastorales ;
  • la Ferme Agroécologique de Bilone, qui offre un cadre d’insertion professionnel aux apprenant·e·s de toutes les composantes de l’Institut. Celle-ci joue un rôle essentiel dans le transfert des compétences pratiques et l’incubation des jeunes entrepreneur·euse·s.

Chacune de ces composantes fonctionne comme un projet entrepreneurial, avec une gestion transparente et une approche autonome de mobilisation des ressources. Un Conseil d’Administration veille à ce que les actions de ces composantes soient alignées à la vision originelle de l’Institut. Au sein de ce Conseil siège un représentant du Canton du Jura, l’Ambassadeur de Suisse au Cameroun, des représentants des ministères camerounais de tutelle et des représentants des différentes parties prenantes.

Quel que soit le parcours sollicité, l’ingénierie de formation valorisée dans notre établissement met en scène plusieurs mouvements entre la salle de classe, la ferme agroécologique de Bilone et plus de 150 entreprises partenaires, dont la majorité est dirigée par d’ancien·ne·s  élèves. Inspirée par l’approche suisse d’apprentissage dual, cette démarche permet de consolider les acquis d’apprentissage et inspire plusieurs jeunes dans la formulation de leurs projets agropastoraux. Un module d’insertion socioculturelle dans le milieu rural est dispensé pour préparer les apprenant·e·s à s’immerger dans ce milieu au cours de leur formation et à s’y installer définitivement après. 

Les résultats du travail réalisé sont suffisamment parlants. Dans un pays où plus de 75% de jeunes diplômés sont victimes de chômage ou de sous-emploi, des enquêtes révèlent un taux d’insertion socioprofessionnelle de 96% pour nos ancien·ne·s élèves. Ces jeunes s’insèrent pour la plupart dans le milieu rural, alors que celui-ci avait sur eux·elles un effet quasiment répulsif il y a deux décennies.

Le secteur agropastoral est sans aucun doute celui qui peut garantir le plein emploi à la jeunesse camerounaise en ce moment. Fixer le rêve des jeunes dans ce secteur, c’est leur donner les meilleures opportunités d’insertion et d’épanouissement socioprofessionnels dans leur territoire. Tout le monde y gagne. Enrichi d’une main d’œuvre vigoureuse et qualifiée, le milieu rural se développe grâce à l’apport des exploitations modernes crées ou dirigées par des jeunes. L’économie nationale est consolidée par l’amélioration de la productivité et de la compétitivité des exploitations agricoles. À l’international, le phénomène de l’immigration clandestine est délesté des jeunes qui s’épanouissent sur leurs terres d’origine. C’est le pari que s’est donné l’IAO à travers la mise en œuvre de son projet éducatif. Ce pari se réalise, grâce au soutien inestimable de la Suisse.


 Louis Ndjié, directeur ● Institut Agricole d’Obala