Louis Ndjié (sur la photo, deuxième personne depuis la droite) est le directeur de l’Institut Agricole d’Obala (IAO) au Cameroun, un établissement – soutenu par la FICD et la Fondation Rurale interjurassienne - qui forme environ 850 agriculteurs chaque année. L’école est devenue un modèle qui inspire jusqu’aux instances onusiennes. En visite dans le Jura dans le cadre d’un projet d’échange d’expériences entre entrepreneurs agricoles jurassiens, ivoiriens et camerounais, il revient sur les débuts de son école, sur les enjeux économiques et sur sa vision de l’avenir.

Membre FICD


Fondation rurale interjurassienne

La FRI est une institution interjurassienne, qui associe sur un pied d’égalité, quatre partenaires, à savoir deux cantons et deux chambres d’agriculture. Elle est le principal instrument du développement rural dans le Jura et le Jura bernois. Ses tâches prioritaires sont la formation et le conseil dans les différents domaines du développement rural. La FRI déploie ses activités à partir des sites de Courtemelon et Loveresse.


La conférence internationale organisée dans nos locaux fut l’occasion de démontrer tout le savoir-faire de notre établissement et le savoir-faire jurassien en matière de gestion de projets.»

Quelle est la genèse de l’Institut Agricole d’Obala ?

Plus jeune, j’ai bénéficié du soutien de l’Abbé jurassien Jacques Oeuvray. Présenté comme courageux, j’ai obtenu un financement afin d’étudier l’agriculture en France, à l’Ecole Supérieure d’Agriculture (ESA), à Angers. Après mon bac au Cameroun, j’ai donc débuté un Brevet de technicien supérieur (BTS) en Agronomie. Par la suite, j’ai suivi la formation d’ingénieur. Mon mémoire de fin d’études portait sur l’opportunité de créer une école d’agriculture à Obala, ma région. Il s’agissait de déterminer si cela avait un sens dans le contexte socio-économique de l’époque. Je souhaitais m’investir pour mon pays, je savais déjà que je serais plus utile au Cameroun qu’en France. En 1999, je suis donc rentré au Cameroun avec une jeune étudiante pour travailler sur ce mémoire. En cette fin de millénaire, les collèges agricoles ne formaient pas des agriculteurs, mais plutôt des fonctionnaires qui ensuite s’occupaient de conseiller les paysans. Par la suite, nous sommes retournés en France pour soutenir notre mémoire, avec succès, et les évènements se sont enchainés.

C’est durant cette période que se sont déroulés les premiers contacts avec le Canton du Jura ?

Oui, durant 9 ans, j’ai enchainé de nombreux séjours en France et en Suisse. Là encore, l’apport de l’Abbé jurassien Jacques Oeuvray s’est révélé déterminant. À la fin de mon mémoire, nous sommes allés présenter mon projet à Jean-François Roth, alors ministre et chef du Département de l’économie et de la coopération du Canton du Jura et à Stéphane Berdat, chef du Service de la coopération. Le Jura soutenait déjà un projet de santé depuis 1991 dans la Province du Centre. Dans un premier temps, il m’a été simplement conseillé de débuter le projet.

Un conseil que vous avez suivi. Vous êtes donc retourné au Cameroun, comment avez-vous débuté ?

Avec nos petites économies et le soutien de l’Abbé Jacques Oeuvray, nous avons acquis 3 hectares de terrain. Nous avons commencé avec une petite baraque en bois et une petite ferme. Petit à petit, nous avons valorisé le terrain et débuté l’enseignement à une douzaine de jeunes, dont 3 filles. Maintenant, grâce au gouvernement camerounais, nous disposons d’environ 100 hectares de terrain. Ensuite, à l’occasion d’une visite d’une délégation du Gouvernement jurassien sur les projets de santé, le ministre Jean-François Roth est passé par notre exploitation. Impressionné, il a décidé de défendre notre projet devant le Parlement jurassien. Avec succès, puisque le soutien a débuté et, en septembre 2003, l’IAO ouvrait ses portes. Aujourd’hui, l’IAO accueille 850 étudiants, dont environ 40 % de filles, répartis dans 5 formations différentes, allant du Brevet de technicien agricole jusqu’au Master II. Toutes ces formations sont reconnues par le Gouvernement camerounais.

Quels sont les éléments qui permettent à l’IAO de connaitre un succès croissant ?

Sans conteste, l’accompagnement jurassien sur le long terme a été important. Bien souvent, les bailleurs donnent des fonds, puis repartent. Là, nous avons bénéficié d’un nouveau modèle de soutien, avec des fonds qui ont permis un développement régulier. En outre, le coaching de Stéphane Berdat et d’Olivier Girardin (directeur de la Fondation rurale interjurassienne) fut une aide primordiale, surtout au niveau des outils de gouvernance. Une gouvernance stable rassure, et le succès appelant le succès, les bailleurs de fonds arrivent car ils sont en confiance.

L’IAO est devenu un véritable modèle qui vous a permis d’accueillir très récemment une conférence internationale organisée par le Fonds international de développement agricole (FIDA). Quel est l’histoire de ce partenariat ?

Le FIDA est une institution des Nations Unies qui a très vite reconnu le potentiel et l’exemplarité de notre institution, c’est donc un partenaire précieux. Il a d’ailleurs documenté toute l’histoire de l’IAO dans un fascicule intitulé « La formation Agro-Entrepreuriale pour l’insertion des jeunes en milieu rural ». La conférence internationale organisée dans nos locaux fut l’occasion de démontrer tout le savoir-faire de notre établissement et le savoir-faire jurassien en matière de gestion de projets. Avant cela, grâce à l’apport du FIDA, nous avons développé notre soutien à l’installation des agriculteurs. De 10 jeunes par an, nous sommes passés à 150 nouvelles installations chaque année. C’est unique au Cameroun !

Après quasiment 20 ans de développement, quel est l’impact de l’IAO sur l’économie régionale ?

Il est certain que l’IAO a eu beaucoup d’influence sur l’économie de notre région. Nous avons accompagné l’installation de nombreux jeunes agriculteurs, passant d’une agriculture familiale, de subsistance, à une agriculture génératrice de revenus. En Afrique, une personne qui réussit prend en charge une dizaine d’individus. L’IAO a contribué à améliorer la situation financière de nombreuses familles, cela comptabilise plusieurs milliers de personnes. Les agriculteurs fraîchement installés n’ont pas de problème d’écoulement des marchandises produites : nous sommes très proche de Yaoundé, la capitale, et de ses 3 millions d’individus à nourrir. En outre, l’arrivée d’étudiants de tout le Cameroun, ou même de l’extérieur, soutient l’emploi local : il faut leur construire des logements, les habiller, les transporter, etc.

Comment les mentalités ont-elles évolué durant ce laps de temps ?

À nos débuts, les étudiants camerounais s’orientaient plus volontiers vers l’enseignement général, avec comme objectif de devenir fonctionnaire. C’était plus prestigieux. Maintenant, nous avons même des fils de cadres camerounais qui viennent suivre une formation à l’IAO. Une expression de chez nous dit « La terre ne trompe pas, c’est la seule source d’auto-emploi ». L’IAO fait également « tache d’huile ». Le Gouvernement camerounais construit désormais des lycées agricoles basés sur notre modèle. Nous y apportons notre expertise.

En 2018, le financement jurassien de l’IAO a connu quelques changements, quels sont-ils ?

Il y a près de 20 ans, le Jura finançait le 100 % de notre institution. Aujourd’hui, le financement équivaut à 25 % de notre budget. Grâce à l’impulsion du Jura, nous avons développé de nouveaux partenariats avec d’autres bailleurs. Avec la nouvelle stratégie de coopération du Gouvernement Jurassien, les fonds sont désormais gérés par la FICD. C’est très positif, puisque d’autres portes se sont ouvertes. Ainsi, une demande de financement est désormais pendante auprès du Canton de Berne.

Aujourd’hui, vous êtes en Suisse dans le cadre d’un projet plutôt innovant. Quel en est le contexte ?

Grâce au soutien financier de Movetia, l’agence suisse en charge de la promotion des échanges et de la mobilité, nous débutons un projet d’échange d’expériences entre entrepreneurs agricoles du Cameroun, de Côte d’Ivoire et de Suisse. Le but du séjour est donc d’échanger des pratiques entre professionnels de l’agriculture. La première étape est la visite de notre délégation camerounaise, accompagnée de nos collègues de Côte d’Ivoire à la Fondation rurale interjurassienne, de Courtemelon. Par la suite, Ivoiriens et Suisses viendront nous rendre visite en septembre au Cameroun. Ici, à Courtételle, je m’intéresse de près à la formation duale et à l’entreprenariat « à la Suisse ». Lorsque nous nous rendrons en Côte d’Ivoire, je m’intéresserai plus particulièrement au développement de nouvelles variétés de manioc ou d’igname. Le climat est le même qu’au Cameroun, je préfère donc sélectionner des variétés locales plutôt que des espèces produites je ne sais trop où.

Et que pensez-vous apporter aux agriculteurs suisses qui vous rendront visite en septembre ?

Nos cultures sont encore relativement exemptes de produits phytosanitaires. À l’IAO nous sensibilisons nos élèves à ne pas tomber dans le piège du désherbage chimique et surtout, nous leur apprenons à ne pas reproduire les erreurs de l’agriculture intensive européenne. On cultive donc sans produits de synthèse. Cela peut être une source d’inspiration pour les agriculteurs suisses, surtout à une époque où la culture bio prend de l’ampleur. Réapprenons aux jeunes à éviter les pesticides, à privilégier les méthodes de lutte biologique et à utiliser les engrais organiques. Mais, pour être clair, l’objectif de ce projet est de consolider les échanges Nord-Sud, de favoriser les apports Sud-Nord et enfin de développer les échanges Sud-Sud, avec nos amis de Côte d’Ivoire.


Propos recueillis par Bruce Rennes ● FICD ● www.iao-cm.org