Formatrice d’adultes depuis plus de 20 ans, Manuela Heé travaille chez effe, à Bienne, une institution spécialisée dans la formation des adultes, le bilan des compétences, l’accompagnement et la gestion de projets. Elle s’est spécialisée ces dernières années dans l’intégration linguistique des MIGRANT-E-S et est aujourd’hui en charge du projet Femmes-Tische à Bienne, Une action d’autonomisation des femmes qui n’est pas sans rappeler certaines initiatives menées dans les pays du Sud.

la parole se libère d’autant mieux lorsque les tables rondes regroupent des personnes de différentes communautés. Les femmes se sentent ainsi moins observées par leurs compatriotes.»

Pouvez-vous nous présenter le projet Femmes-Tische ?

Femmes-Tische est un projet d’autonomisation d’envergure nationale, sous forme de table ronde, à destination des femmes migrantes. Notre institution est responsable du projet en français et en allemand pour la ville de Bienne qui soutient le projet, en compagnie du canton de Berne, de l’Office fédéral des migrations et d’autres partenaires. Il existe depuis 22 ans en Suisse et depuis 2006 à Bienne.

En 2017, 120 tables rondes ont été organisées. 706 femmes y ont participé et ont ainsi été touchées directement par le projet. D’autres femmes sont atteintes indirectement par ces tables rondes.

Comment se déroule concrètement ce projet ?

Nous formons des femmes migrantes qui interviendront comme modératrices. Elles sont d’abord formées à l’animation de groupe et reçoivent ensuite des formations à différents thèmes touchant à la santé, l’éducation, etc. Par exemple : « Comment soutenir mon enfant dans l’acquisition des compétences attendues lors de l’entrée à l’école », « quel est le rôle des parents pendant la scolarité des enfants », « comprendre le fonctionnement du système scolaire à Bienne ».

Une fois formées, les modératrices réunissent 5 à 10 femmes autour d’un thème. Une table ronde dure environ 1h30. Chaque participante utilise d’abord son propre savoir.

Ensuite, la modératrice apporte des informations complémentaires. Par cette manière de faire, les femmes se rendent compte qu’elles connaissent des choses et qu’elles peuvent être utiles aux autres.

Quel est l’objectif de ces tables rondes ?

Lors des tables rondes, les participantes échangent des conseils, elles se transmettent des bons plans. Initialement, le projet était prévu pour des femmes suisses vivant à la campagne et qui ne sortaient pas de chez elles. Avec l’amplitude des migrations, il n’y a presque plus de suissesses. Toutefois, j’essaie de faire en sorte que les modératrices invitent des personnes de différentes nationalités, suisse y compris, afin d’enrichir les discussions.

Au final, les bienfaits de ces échanges ne sont pas cloisonnés à la table ronde. Ils se prolongent vers d’autres femmes qui n’y ont pas participé et vers les familles, de manière à avoir un effet boule de neige.

Quelles difficultés peuvent rencontrer les modératrices ?

Certains thèmes sont très compliqués à aborder en groupe. Par exemple, les problématiques liées aux mutilations génitales ou à la contraception. Toutefois, la parole se libère d’autant mieux lorsque les tables rondes regroupent des personnes de différentes communautés. Les femmes se sentent ainsi moins observées par leurs compatriotes.

D’un point de vue pratique, je conseille aux modératrices de ne pas organiser les tables rondes chez elles. Il est préférable de se réunir dans un cadre institutionnel ou éventuellement dans une salle de restaurant. Cela permet de garder une certaine distance entre la modératrice et les participantes.

Nous n’attendons pas que les modératrices soient des expertes, mais qu’elles sachent animer et cadrer l’échange et puissent transmettre les informations à connaître sur des thèmes spécifiques.

Quelles sont les bénéfices pour les modératrices ?

Le projet permet aux modératrices d’avoir une nouvelle posture. Elles gagnent en respect et se sentent valorisées. La fonction de modératrice est plus un engagement bénévole qu’un véritable travail. Les modératrices sont dédommagées des frais engagés pour le transport, le téléphone, la préparation des collations, etc. Toutefois, cette activité est utile pour se créer un bon réseau et cette expérience permet de multiplier les chances de trouver un travail.

Comment évaluez-vous les résultats ?

Nous disposons d’outils d’évaluation : nous avons des formulaires qui récapitulent la thématique, le nombre de participantes, les difficultés, l’intérêt pour le thème, etc. Chaque table ronde est évaluée pour garantir le maintien de la qualité de ce projet et pour permettre des adaptations afin de répondre à la demande et aux besoins des personnes et partenaires impliqués.

Ces évaluations permettent également de soutenir les modératrices en cas de manque de respect ou de situations conflictuelles. Nous revenons ainsi sur les bons et les mauvais moments de la table ronde.

Quelles sont les futures évolutions du projet ?

Pour l’instant, le projet se cantonne à Bienne et sa région proche, mais nous aimerions l’élargir au Jura bernois. C’est un défi car les déplacements des modératrices sont moins aisés. Il y a déjà eu plusieurs tables rondes à Tramelan, co-organisées avec Asile Bienne & Région (ABR). Elles ont rencontré un beau succès.

Dans le prolongement de Femmes-Tische, il y a le projet EMI. Il s’agit d’un service de consultation, maximum deux fois par personne, entre une modératrice et un-e bénéficiaire. Cette rencontre s’établit sur la base de la confiance tissée lors des tables rondes.


Propos recueillis par Bruce Rennes ● femmestische.cheffe.ch/formations/femmestisches